[interview] Charlotte Lecocq : "La culture de prévention est moins mûre dans la fonction publique"

[interview] Charlotte Lecocq : "La culture de prévention est moins mûre dans la fonction publique"

30.10.2019

HSE

Suicides dans la police et l'éducation nationale, grève des urgences, manifestation des pompiers... la souffrance au travail des fonctionnaires se fait entendre ces derniers mois. C'est dans ce contexte que Charlotte Lecocq, Pascale Coton et Jean-François Verdier ont remis leur rapport sur la santé au travail dans la fonction publique. Retour sur quelques unes de leurs préconisations avec la députée LREM.

Il y a urgence à s'occuper de la santé au travail des fonctionnaires. L'absence de pilotage national et régional d'une vraie politique de prévention est la principale explication. Voilà, en résumé, l'idée du rapport sur la santé au travail dans la fonction publique que la députée LREM Charlotte Lecocq, l'inspecteur des finances Jean-François Verdier et la vice-présidente CFTC Pascale Coton ont remis au Premier ministre le 28 octobre 2019. "La question des moyens est presque secondaire", avait prévenu l'élue du Nord il y a quelques semaines. C'est confirmé dans le rapport : les manques d'effectifs, même dans la fonction publique hospitalière, n'y sont pas évoqués. Bonus-malus, inspection du travail, mutuelles privées... Quelles solutions concrètes proposent alors ses auteurs ? 

Avant d'être députée, Charlotte Lecocq a travaillé plusieurs années dans le conseil aux entreprises (TPE et PME) et associations sur les thèmes d'organisation du travail, du management, et de la prévention. Avec Henri Forest, ex-CFDT, et le consultant en management Bruno Dupuis, elle a déjà remis un rapport sur le système de santé au travail dans le privé, l'année dernière. Elle nous répond sur quelques unes des mesures qu'elle préconise pour le public. La plupart ne nécessitent pas une nouvelle loi, mais la députée nous assure qu'une réforme plus globale de la santé au travail, qui concernera le privé et le public sera bien présentée en 2020. 

Parallèlement, le gouvernement s'apprête à réformer par ordonnances les instances médicales de la fonction publique et les règles d'aptitude des fonctionnaires. Des concertations avec les partenaires sociaux ont lieu en ce moment.

 

Le tableau que vous dressez de la SST et de la QVT est encore plus noir pour la fonction publique que pour le secteur privé. Pourquoi ? 

Charlotte Lecocq : D'abord, nous n'avons pas suffisamment de chiffres pour bien évaluer. Mais il est vrai que quelques chiffres, comme le taux d'absentéisme par exemple, sont plus élevés dans le public que le privé. Cela s'explique globalement par une culture de prévention moins mûre et moins outillée. En résumé, la fonction publique est en retard, dans la santé au travail et encore plus dans la qualité de vie au travail. Mais elle a commencé à rattraper ce retard. 

Vous proposez de corréler au Plan santé travail qui existe pour le privé un PST de la fonction publique. Le public possède déjà un plan d'action pluriannuel. Que devrait apporter de plus un PST ? 

Charlotte Lecocq : Le plan d'action pluriannuel est juste un recueil de ce que font les ministères en santé au travail. Par contre, le PST est une vraie boussole, qui permet de marquer qu'il y a une politique qui existe, de la piloter et de l'évaluer. C'est un message clair pour les agents. Le PST FP permettrait de valoriser ce qui existe déjà et de définir ce qu'il faut faire en plus. 

Édouard Philippe a demandé au secrétaire d'État Olivier Dussopt d'élaborer ce PST pour le 31 mars prochain. Ce calendrier très serré n'est-il pas contradictoire avec votre rapport qui valorise justement la concertation à l'origine de l'écriture du PST pour le privé ? 

Charlotte Lecocq : Les deux ne sont pas incompatibles parce qu'on ne part pas de zéro. Les partenaires sociaux seront associés. Je suis très contente que le Premier ministre ait fait cette annonce dès la présentation du rapport. Cela signifie "message reçu, maintenant on agit". C'est ambitieux, mais jouable. 

Au niveau régional, le PRST serait commun aux deux secteurs public et privé. Pourquoi ? 

Charlotte Lecocq : C'est une boussole commune qui peut fonctionner pour l'un comme pour l'autre. Les PRST fonctionnent par secteur, typologie de risques ou territoire, donc la fonction publique peut aussi être concernée. Par exemple, les problématiques des métiers du grand âge ou des RPS des cadres regardent les deux secteurs.

Vous proposez de renforcer le rôle de l’inspection et de lui donner un pouvoir coercitif. L'État employeur jouit-il d'une certaine impunité ?

Charlotte Lecocq : Oui. Nous sommes plutôt sur une ligne à vouloir inciter par la conviction, à démontrer par la performance, mais à un moment donné, quand cela ne bouge pas ou pas assez, on a aussi besoin d'outils de coercition. La question de l'inspection du travail nous a été remontée par toutes les organisations syndicales. En revanche, nous ne nous prononçons pas sur la forme qu'elle pourrait prendre. 

Vous voulez revoir l'assurance des risques AT-MP en la calquant sur celle du privé. Imaginez-vous une cotisation propre à chaque collectivité ou hôpital en fonction de sa sinistralité ? 

Charlotte Lecocq : Aujourd'hui le risque n'est pas assez assuré puisque l'employeur s'auto-assure. C'est très dangereux pour de petites collectivités ou même des plus grandes avec une majorité d'agents de plus de 50 ans par exemple. On propose de basculer vers une cotisation AT-MP comme dans le privé pour davantage mutualiser le risque. Elle intégrerait aussi la notion de bonus-malus. Dans la même logique, nous avons imaginé que les dotations de l'État puissent intégrer un critère de QVT ou de SST, le taux de sinistralité par exemple. 

Vous voulez aligner les règles du suivi médical des fonctionnaires sur celles du privé. Vous pensez à supprimer la visite d'aptitude pour certains d'entre eux par exemple ?  

Charlotte Lecocq : Les règles sont différentes d'un versant de la fonction publique à l'autre et entre les deux secteurs. C'est donc compliqué pour les services de santé au travail qui ne savent pas quelle règle suivre [NDLR: certains SSTI suivent des agents de la fonction publique. Cette mutualisation est d'ailleurs prescrite dans le rapport]. L'idée est surtout de mettre tout le monde au diapason, entre autres en matière de rythme et conditions des visites, en effet. 

Pourquoi vouloir faciliter la participation des mutuelles au financement d’actions de prévention ? Qu'apportent-elles de plus que les services de santé au travail ? 

Charlotte Lecocq : Les mutuelles financent déjà des actions de prévention. Elles pourraient en faire plus, elles sont demandeuses. L'idée est de les intégrer dans quelque chose d'orchestré. 

Vous abordez peu la question des moyens, n'évoquez à aucun moment celle des effectifs. Le manque d'agents, dans la fonction publique hospitalière notamment, n'est-il pas un problème selon vous ?

Charlotte Lecocq : Non, ce n'est pas forcément un problème : quand il y a une baisse des effectifs, il faut un rééquilibrage entre les effectifs et les moyens. Nous n'avons pas d'éléments pour dire qu'il y a un manque, nous n'avons que des cris d'alerte. On ne peut pas résoudre les problèmes qu'à travers la question des effectifs. C'est la question de l'organisation du travail qu'il faut traiter. 

 

Les 11 recommandations du rapport Coton-Lecocq-Verdier
       
  • Faire de la prévention dans la fonction publique une priorité (élaboration d'un Plan santé travail présenté devant l'Assemblée nationale notamment). 
  • Répondre aux différentes situations en m atière de conditions de travail.
  • Organiser une offre territorialisée d’appui aux agents et aux employeurs (plusieurs schémas d'organisation, déjà mobilisés, sont proposés : adhérer à un service de santé au travail interentreprise, mutualisation du service de santé au travail entre organes de la fonction publique de versants différents...). 
  • Renforcer l’incitation et l’engagement dans la prévention (intégrer des critères SST/QVT dans l’attribution des dotations, création d'espaces de discussion...).
  • Développer la formation (des élus et de l'encadrement, entre autres).
  • Simplifier l’obligation d’évaluation des risques et renforcer l’obligation d’action (suppression de l'obligation d'exhaustivité).
  • Garantir le suivi en santé au travail (développer les équipes pluridisciplinaires, qui ne sont pas obligatoires aujourd'hui, contrairement au secteur privé). 
  • Maintenir dans l’emploi (en développant le télétravail, entre autres). 
  • Mettre en place un plan de lutte contre les violences envers les agents du service public (encourager le dépôt de plainte systématique, lancer un plan de communication pour reconnaître le rôle des agents...). 
  • Renforcer l’investissement dans la prévention. 
  • Favoriser la mutualisation du risque

 

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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